Panama City, le « Dubaï latino »

Ingrid Piponiot-Laroche, correspondante au Panama
16 Septembre 2013



Malgré la crise économique mondiale qui ébranle même les plus grands de ce monde, Panama avance à contre-courant. Ce petit pays de moins de quatre millions d'habitants connaît une incroyable croissance, dont les conséquences sont palpables à Panama City, la capitale. Description d'une ville qui ne dort plus.


Crédit Photo -- D.R.
Crédit Photo -- D.R.
Aujourd'hui, Panama City fait face à une évolution majeure, avançant au rythme de ses exploits économiques. La ville vit des apports étrangers, et doit renforcer ses efforts pour maintenir son attraction à niveau mondial. Dans son modèle de développement, tout semble s'adapter à la réception de grandes entreprises étrangères et de leur personnel, mais également de touristes qui viennent profiter de cette ville à l'aspect moderne. Et quoi de plus moderne que des quartiers entiers de gratte-ciels ?

La naissance du « tigre centre-américain »

De par sa position stratégique dans le continent américain, Panama a toujours joué un rôle central dans le transport maritime. Fine barrière entre l'Atlantique et le Pacifique, le territoire panaméen est convoité dès le XIXe siècle par les États-Unis, qui y construisent une voie ferrée reliant les deux océans. C'est alors qu'en 1880, un français du nom de Ferdinand de Lesseps, va se lancer dans l'incroyable défi de creuser un canal reliant le Pacifique et l'Atlantique. Cette œuvre monumentale va être interrompue suite à des scandales politico-financiers en France, mais les États-Unis vont vite se proposer pour reprendre les travaux. La résistance de la Colombie, dont le Panama n'était à l'époque qu'une province, incite le géant nord-américain à pousser les Panaméens vers l'indépendance. En 1903, la République du Panama est créée, en 1914 les Américains inaugurent le Canal.

C'est alors que Panama s'ouvre brutalement au commerce international. Passage obligé pour les navires souhaitant éviter le Cap Horne, le Canal de Panama devient le centre économique du pays. Les revenus élevés qu'apportent cette voie maritime interocéanique bénéficient exclusivement aux États-Unis, seuls propriétaires de la zone du Canal, et cela durera pendant plusieurs décennies. Panama tente de récupérer le Canal, mais c'est seulement en 1977 qu'est signé l'accord Torrijos-Carter, qui redonne aux autorités locales ce morceau tant convoité du territoire. Il faudra tout de même attendre 1999 pour que le Panama en obtienne le contrôle total.

Le pays connaît alors une croissance économique extraordinaire, comparable selon Augusto de la Torre, économiste en chef pour l'Amérique Latine et les Caraïbes à la Banque Mondiale, aux Tigres d'Asie du Sud-est à leur meilleure époque. Avec un transit de 14 000 bateaux par an, le Canal permet le transport annuel d'en moyenne 300 millions de tonnes de marchandises. Grâce au fait que, depuis 1999, les revenus du Canal sont réinvestis dans le pays, on constate qu'entre 2003 et 2009 le PIB panaméen a doublé. Il faut également souligner l'importance des investissements étrangers, du tourisme et de l'industrie logistique. Aujourd'hui, malgré la crise qui ralentit l'activité économique mondiale, Panama détient le record de croissance de l'Amérique latine, avec une augmentation du PIB de 10,5% en 2012.

Panama City vue du ciel

La forte croissance économique du pays entraîne un développement majeur de la capitale, Panama City. C'est dans le modèle de développement choisi que l'on peut constater que les États-Unis ont encore une influence considérable dans l'isthme. Ainsi, comme l'on fait New York et Chicago avant elle, la ville de Panama commence à prendre de la hauteur.

Dès les années 2000, Panama connaît une augmentation importante du secteur de la construction, et notamment par la création d'immeubles de plus de cinquante étages. Attirés par l'activité économique croissante du pays, les banques, les entreprises, les investisseurs et les chaînes hôtelières se précipitent pour construire de nouvelles tours, comme la Balboa Tower de 140 mètres en 2002, ou la Torre Global Bank de 176 mètres en 2005. Mais c'est à partir de 2006 que la construction va s'intensifier drastiquement. Cette année correspond à la date de validation du projet d'agrandissement du Canal de Panama, qui une fois les travaux terminés pourra recevoir un plus grand nombre de bateaux, et de plus grande taille. L'investissement étant de 5 250 millions de dollars, les attentes sur son rendement sont majeures et attirent de plus en plus de fonds étrangers. Le paysage de la ville commence alors à se transformer, et obtient du secteur immobilier le surnom de « Dubaï latinoaméricain ». Les deux villes balnéaires présentent de nombreuses caractéristiques communes, tant sur le modèle de développement que sur le style architectural innovateur.

Comme dans la ville phare des Émirats Arabes Unis, à Panama les gratte-ciels poussent comme des champignons. Toujours plus hauts, toujours plus originaux, ces monstres embettonés envahissent la baie de Panama City à vitesse grand V. Au total, entre 2006 et 2012, la ville a vu naître 23 gratte-ciels mesurant entre 135 et 284 mètres. Le pays est devenu en quelques années le leader latinoaméricain en la matière, tant pour le nombre que pour la hauteur de ses bâtiments. La capitale possède les douze plus hauts gratte-ciels d'Amérique latine, bien que Santiago du Chili soit sur le point d'inaugurer une tour de 300 mètres qui viendra voler la première place au Trump Ocean Club International Hotel and Tower de Panama. Pour maximiser son espace urbain, Panama City va également employer de nombreux moyens artificiels, rappelant fortement Dubaï. L'exemple le plus marquant est celui d'Ocean Reef, deux îles artificielles dont la construction est orchestrée par la compagnie des fameuses Palm Islands de Dubaï.

Cependant, c'est sur le style architectural que les deux villes présentent le plus de points communs. La ressemblance entre certains gratte-ciels est telle que de nombreuses polémiques ont secoué la construction de grands immeubles au Panama. Le plus connu est le scandale du Trump Ocean Club International Hotel and Tower, appartenant au multimillionnaire américain Donald Trump. Lors de la présentation du projet, la compagnie a reçu de nombreuses menaces des sociétés Jumeirah, propriétaires de l'incontournable Burj-al-Arab de Dubaï, accusant les architectes de violation des droits d'auteur. Le conflit a dû être réglé devant un tribunal, et bien que le design en forme de voile soit similaire, la compagnie de Trump s'en est sortie intacte.

La verticalité de la ville comme signe de richesse ?

Crédit Photo -- Ingrid Piponiot-Laroche | Le Journal Internationnal
Crédit Photo -- Ingrid Piponiot-Laroche | Le Journal Internationnal
Ceux qui ne souhaitent voir dans les gratte-ciels qu'une preuve de richesse nationale doivent garder les yeux en l'air. Dès que le regard redescend dans la rue, on constate que le développement de la ville n'a pas bénéficié à tous. Il est vrai que l'importante croissance économique a engendré une baisse de la pauvreté et du taux de chômage, qui est passé de 15% en 2000 à 4,5% en 2012. Cependant, il est important de souligner que l'offre d'emplois concerne majoritairement la main d'oeuvre, et que les diplômés étrangers s'accaparent les postes les plus élevés.

La croissance rapide du centre-ville est logiquement associée à une hausse drastique du prix du mètre carré, qui a doublé en cinq ans selon Enrique Asensio, président de la Chambre panaméenne de la Construction. Même les quartiers anciennement considérés précaires sont aujourd'hui transformés en zones huppées, ce qui tend à repousser vers l'extérieur de la ville les moins fortunés. Étant donné que le salaire minimum est de 432 dollars mensuels, de nombreuses familles quittent la ville pour s'installer dans les banlieues où la différence de prix est considérable. Si dans certains quartiers le prix du mètre carré atteint les quatre mille dollars, il tourne aux alentours de sept ou huit dollars dans la périphérie. Bien que certaines habitations précaires résistent encore en centre-ville, on constate depuis une dizaine d'années une hausse importante de la ségrégation spatiale à Panama City.

Au-delà du contraste social fort qu'il existe dans la ville, un autre phénomène souligne le fait que les imposants gratte-ciels ne sont pas un signe de richesse. Une caractéristique propre à Panama City est que la plupart des immeubles construits sont en réalité vides. Ceci est particulièrement frappant à la tombée de la nuit, car l'on peut voir que rares sont les étages où les lumières sont allumées. Selon les agences immobilières, cela est dû au fait que la plupart des appartements appartiennent à des « résidents temporaires ». Étant donné que le pays est encore considéré par de nombreuses nations comme un paradis fiscal, on ne peut s'empêcher de relier cela à des histoires d'évasion fiscale. Les autorités états-uniennes ont une autre version des faits : selon elles, ce sont les cartels de drogue colombiens qui emploient le secteur immobilier pour blanchir de l'argent. Cette théorie est reprise par de nombreux groupes d'opposition au gouvernement, qui considèrent que l’État ne fait pas attention à la provenance des fonds, car les bénéfices des constructions sont bien trop élevés.

En conclusion, la verticalité de la ville n'apparaît pas comme un signe de richesse. Les gratte-ciels sont construits indépendamment de la demande réelle, car le coût du mètre carré est trop élevé pour la majorité de la population locale, et les appartements restent bien souvent vides. La croissance de la ville pourrait donc être basée sur une grande bulle spéculative, totalement insoutenable à long terme, tant sur le plan économique qu'écologique.

De plus, la croissance rapide s'accompagne de nombreuses complications techniques, comme les embouteillages insoutenables qui paralysent la ville. Le gouvernement investit massivement dans l'amélioration du transport, avec notamment la création d'une ligne de métro. Cependant, du côté des avancements sociaux, il reste beaucoup à faire. Les contrastes sociaux dans la ville, mais surtout dans le reste du pays, illustrent une faille dans la répartition des richesses. Selon l'ONU, la pauvreté concerne 20% de la population urbaine, mais ce taux s'élève à 54% en zone rurale non-indigène et 98,4% en zone rurale indigène.

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